La mobilisation des gilets jaunes depuis la mi-novembre 2018 a ouvert, en France, une aire de discussion officielle sur tout, à commencer par la fiscalité, et notamment sur l’abolition ou pas de l’ISF (impôt sur la fortune).
Quid de l’ISF ?
Même s’il a déjà été remplacé par l’IFI, les Français, toujours frondeurs envers les impôts en général, semblent vouloir, ou du moins un certain nombre, la réintroduction d’un impôt, celui de l’ISF, dont seule une minorité l’acquitte auprès du Trésor Public. Rappelons que le seuil pour 2019 est de 1,3 million d’impôt, diminué d’un abattement au titre de la résidence principale, des capitaux et intérêts dus.
Pourquoi l’IFI ?
En bref, la fiscalité donne les moyens financiers à l’Etat de mener sa Politique. Quand le pays supporte une dette gigantesque et ne parvient jamais à équilibrer ses comptes, pourquoi le gouvernement actuel a-t-il transformé l’ISF (Impôt sur la Fortune), né en 1988 sur les cendres de l’IGF (Impôt sur la Grande Fortune), elle-même créée en 1982, en IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière) ?
D’aucuns pensent qu’ainsi l’Etat se prive de recettes bienvenues : le magazine Capital, dans un article paru le 2 août 2018 reprenant Les Echos, annonçait une rentabilité de 4 fois inférieure à l’ISF pour un montant de 1,2 milliard d’euros.
Pourquoi s’asseoir sur plus de 3 milliards d’euros ?
A une époque éprise de justice sociale et où nos enfants héritent d’une dette colossale à l’instant de leur naissance, pourquoi on se permettrait de s’asseoir sur plus de 3 milliards d’euros de recettes annuelles ? Si l’on s’en tenait à cette apparence, ce serait en effet totalement aberrant : moins de recettes et plus de mécontents, à l’exception de ceux qui en bénéficient ?
Qu’est-ce que l’Etat peut gagner à la manœuvre ? Pourquoi le Président Macron reste-t-il campé sur ses positions en lâchant un décalé « c’est de la pipe » (de penser que la France et les gilets jaunes se porteraient mieux) ?
L’impôt sur la fortune : quelle histoire !
Pour bien comprendre le discours présidentiel, refaisons un peu d’histoire. A sa création, l’IGF a fait l’effet d’un tremblement de terre parmi les plus fortunés, ceux que d’aucuns appellent les « Riches ».
La suppression de l’IGF en 1987, par le gouvernement Chirac, leur redonne l’air que la perte des élections de 1988 leur reprend aussitôt : l’hydre renaît de ses cendres sous la forme de l’ISF.
Chaque concerné s’est adapté en fonction de son imagination, de son appétence au risque… fiscal, de la taille de sa fortune : certains ont subi, d’autres ont caché une partie de leur capital hors de France avec l’aide de fiscalistes ou banquiers, d’autres encore sont partis avec « armes et bagages ». « Quitter son pays est un acte qui engage profondément à titre personnel et qui lui inflige une double peine : sur le plan fiscal, le lien de subordination par l’impôt du contribuable à son pays est rompu, et l’Etat quitté verra ainsi son assiette fiscale se réduire et ses capacités redistributives et d’investissement entamées ; sur le plan économique, les capitaux expatriés s’investissent à l’étranger, y créent des emplois, y nourrissent le tissu social et économique de leurs dépenses et font profiter les pays d’accueil de leur dynamisme. Ce sera autant de moins pour le pays d’origine« [1].
Un impôt à faire fuir les riches
Certains chefs d’entreprise sont partis avec tous leurs biens, ceux-là qui ont choisi de quitter la France. Certains détracteurs penseront : tant mieux pour eux, que cela ne nous empêche pas de taxer les riches ! D’ailleurs, l’article paru dans Forbes le 12 décembre 2018, « L’ISF fait-il fuir les riches ?« indique que la DGFIP, dans un rapport paru en 2012, compte seulement 587 contribuables redevables de l’ISF effectivement exilés, soit 0,2 % des foyers soumis à l’ISF, soit l’équivalent de 270 millions d’euros. Ce montant-là est un flux de patrimoine et non un stock.
Chaque année depuis la création de l’IGF, puis de l’ISF, on a vu des familles partir sans idée de retour. Leur nombre s’ajoute d’année en année et avec elles, leur patrimoine parti s’investir sous de nouveaux cieux. Un patrimoine bien investi crée de la valeur, des emplois, des revenus fiscaux pour les états qui les accueillent, de la richesse en un mot. Et ils savent faire, sinon ils n’auraient pas de fortune.
Dans mon mémoire1, certes avec des chiffres un peu anciens du fait du temps passé, en me livrant à un travail de réévaluation des patrimoines partis qui s’ajoutent les uns aux autres, le stock de patrimoine privé réévalué parti hors de France depuis 1982 jusqu’en 2006, représentait 3,83 % du patrimoine des ménages de 2006, donc relativement peu, mais 19,19 % du PIB de la même année.
Depuis 2006, les ménages français ont continué à partir : en 2012, 587 ménages, en 2014, 660 ménages… mais combien durant les autres années ? depuis les premiers exilés fiscaux de l’IGF, cela fait combien de personnes ? Leurs enfants ont fondé des familles. Combien sont-ils au total, ces petits Français nés hors de France de parents ont quitté la France.
Qu’est devenue cette fortune privée ?
L’on peut douter qu’ils ont tout dépensé pour leurs loisirs. Ils ont dû investir dans des entreprises qui donnent du travail là où elles sont implantées, payer impôts et taxes divers, qui se sont développées, donc valorisées avec le temps. Ils ont aussi dû s’installer dans une/des propriétés qu’ils doivent entretenir avec du personnel local et des artisans du cru, pour lesquelles ils paient des taxes. Ils vivent sur place, c’est-à-dire hors de France, donc ils consomment sur place… Bref, ils s’enrichissent mais enrichissent aussi les pays qui les ont accueillis à bras ouverts et qui sont trop contents de les avoir accueillis.
Qu’en est-il du patrimoine professionnel de ces fortunés ?
La délocalisation, vous connaissez ? Rien de plus facile ! Il suffit de déménager le siège social. A moins que l’entreprise ne soit cédée avant le grand départ pour en investir les fruits dans une entreprise déjà existante, à moins que ces entrepreneurs-nés ne remontent une affaire… dont la France ne profitera jamais. Et là, il n’existe pas de statistique !
Une petite comparaison pour imaginer concrètement le désastre français lié à l’ISF : vous souvenez-vous que les Etats-Unis se sont créés essentiellement avec des expatriés européens : français, allemands, irlandais… ? En 1872, ils étaient déjà la première puissance mondiale. Aujourd’hui, ils tiennent toujours le haut du pavé, alors devons- nous continuer le débat ou accepter de le clore pour passer sur un véritable sujet d’avenir ?
Catherine PENIGUEL
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[1] L’exode des plus fortunés et la réponse de l’Etat Français, Catherine Peniguel, mémoire de Master II Gestion de Patrimoine, 2009